mardi 24 avril 2018

Zadisme et violence, par Vincent Le Coq


Zadisme et violence

Par Vincent Le Coq.



Édouard de Mareschal, « Notre-Dame-des-Landes : le conflit entre l'État et les zadistes en six actes », Le Figaro, 23 avril 2018.




     Le Figaro expose que le lundi 9 avril, 2500 gendarmes mobiles ont débuté une opération de « rétablissement de l’ordre public ». L’objectif du pouvoir est d’expulser «les éléments les plus radicaux» et de détruire « les constructions illégales ». De fait, en quatre jours, 29 lieux de vie sont détruits. Pour Le Figaro, au terme d’une semaine de face-à-face tendus, ponctués d’affrontements entre les zadistes et les forces de l'ordre, l’autorité de l’État est mise en échec à Notre-Dame-des-Landes. Qu’en est-il ?




Zad bocagère et violence potagère

     La zad de Notre-Dame-des-Landes a inauguré en France un nouveau modèle de lutte. À partir du constat que la critique strictement légaliste des associations de protection de l’environnement échoue à faire obstacle à la réalisation de projets très contestables, il est apparu que l’occupation du terrain d’assiette est indispensable pour qui entend s’opposer à la destruction programmée de la nature.
     Dans une époque avare en combats sociaux et davantage encore en combats gagnés, l’essaimage des zad a pris les gouvernants au dépourvu. Le zadisme est subversif car il questionne l’imaginaire capitaliste. C’est précisément pourquoi l’inscription dans le temps d’une zad et la simple possibilité de la réussite de son projet de démontrer empiriquement qu’un autre monde est possible sont insupportables pour le pouvoir.

Le zadisme, une utopie en actes

     Sur le territoire d’une zad s’ébauchent des horizons d’émancipation au sein d’un monde dominé par une idéologie capitaliste dont la seule perspective est désormais l’autocélébration. Se pratiquent au quotidien le refus du matérialisme et du consumérisme, la volonté d’autonomie, de ralentissement du rythme de vie, du lâcher-prise. S’expérimentent la démocratie délibérative et l’action directe, le refus de la violence induite par tout rapport d’autorité. S’exercent l’hospitalité et la convivialité.
     Dès novembre 2015, les différentes composantes de la zad de Notre-Dame-des-Landes ont pris un engagement pour l’avenir formalisé par une charte. Un avenir qui débute « une fois le projet d’aéroport abandonné ».
  Les revendications portent sur le maintien des propriétaires et locataires objets de procédures d’expropriation, des agriculteurs affectés par le projet, des nouveaux habitants et la détermination de l’usage des terres par une entité issue du mouvement anti-aéroport.
     L’enjeu, avec l’abandon du projet d’aéroport et la transformation de la zone à défendre en zone d’autonomie définitive, est la démonstration expérimentale qu’une autre société est possible.

Opération Jupiter

     Le lundi 9 avril dernier, le gouvernement a donc engagé près de 2 500 gendarmes, appuyés par des véhicules blindés et des hélicoptères pour empêcher la mise en œuvre de ce projet.
     Le choix par un gouvernement de l’usage de la violence contre ses propres citoyens est un indice fort de ce que les tenants du capitalisme triomphant, qui le présentent, depuis l’effondrement de l’Union soviétique, comme la seule option économique possible (syndrome TINA), sont bien moins sûrs d’eux qu’ils ne le prétendent. La possibilité même d’une expérience alternative à la logique marchande leur est manifestement insupportable. Fut-elle limitée à 200 hectares d’un pays de 550 000 kilomètres carrés.

La parole publique

     Parce que dans un régime démocratique l’objectif premier d’un gouvernement est de convaincre l’opinion publique du bien-fondé de ses décisions, les pouvoirs publics ont l’impérieuse obligation d’expliquer et de justifier leurs choix.
     S’agissant des grands projets inutiles et imposés, cette exigence du débat démocratique ne peut évidemment être mise en œuvre. Comment en effet expliquer à la population qu’il est nécessaire de saccager un bocage exceptionnel pour doter d’un nouvel aéroport une ville qui en possède déjà un ? Qu’un trafic transalpin orienté nord-sud exige de réaliser une liaison dans l’axe est-ouest ? Qu’il est indispensable d’enterrer des déchets radioactifs susceptibles en raison du constant dégagement d’hydrogène de devenir une bombe folle ? Que pour diminuer une pollution imaginaire, il est impératif de construire un barrage qui détruira un des principaux espaces naturels d’un département ?
     La réalisation de travaux dispendieux, écologiquement et socialement catastrophiques, ne pouvant faire l’objet de la moindre justification, il y a lieu pour les autorités d’éviter de parler du projet lui-même pour jeter le discrédit sur l’opposition.

L’inversion accusatoire

     « Alors [que Bruno Retailleau] parlait, l’air sévère, de véritables camps d’entraînement à la guérilla à Notre-Dame-des-Landes, les journalistes l’avaient interrompu pour passer une vidéo. Et en place des guérilleros, on y voyait une dame d’un certain âge, très souriante, adossée à une botte de foin, dire à quel point elle avait apprécié ces formations. [Bruno Retailleau] avait eu l’air totalement idiot, et n’avait su que répondre : “Ils sont très forts en communication, les zadistes, très forts.” »[1] Son prédécesseur - situé à l’exact opposé sur l’échiquier du spectacle politique- Jacques Auxiette use identiquement de cette méthode éprouvée qui consiste à tenter de diviser le mouvement pour le faire disparaître : « Ne confondez pas les riverains et agriculteurs concernés par des expropriations et les professionnels de la guérilla urbaine. »[2] Pourtant, chacun peut constater que dans le bocage nantais les guérilleros professionnels cultivent leurs potagers.

Le refus de toute opposition

     Il y a trois mois, j’écrivais : « Le gouvernement, qui se prépare manifestement à faire usage d’une violence débridée contre les zadistes, a le plus grand besoin d’instiller dans l’opinion publique un signe égal entre la présence hypothétique sur la zad de lance-pierres, que les zadistes seraient susceptibles d’utiliser contre les forces de l’ordre, et l’usage bien réel par ces mêmes forces de l’ordre d’armes à létalité réduite à leur encontre. »[3]
     La fin ultime de cette manipulation avait été involontairement révélée par Manuel Valls lorsqu’il refusait au peuple jusqu’au droit de se révolter contre les agressions qu’il subit quotidiennement depuis plus de trente ans de la part des gouvernements successifs : « La colère, la violence ne sont pas possibles dans une démocratie comme la nôtre. »[4]

     Qu’un gouvernement dénie toute légitimité à une frange de son opposition est l’indice que s’instaure graduellement en France une démocratie de basse intensité, voire que s’opère un inquiétant glissement vers les prémices d’une démocrature. Par ses enjeux, l’éradication à force ouverte de la zad de Notre-Dame-des-Landes dépasse de beaucoup la seule question du devenir du bocage nantais.








[1] Mauvaise troupe, Saisons, nouvelles de la zad, Éditions de l’éclat, 2017, p. 55.
[2] Aéroport de Nantes : « Cibler Ayrault est scandaleux », Libération, 1er novembre 2012.
[3] Vincent Le Coq, Projets publics, intérêts privés, Libre & solidaire, février 2018, p. 236.
[4] « Manuel Valls se dit “sceptique” sur la loi d’amnistie sociale », 4 mars 2013, RTL.


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