jeudi 5 juillet 2018

Toute puissance et impuissance de l'oligarchie par Simon Charbonneau


TOUTE PUISSANCE ET IMPUISSANCE DE L’OLIGARCHIE


L’auteur du Prix de la démesure et de Résistez (à paraître chez L & S le 25 octobre 2018) livre un constat glaçant sur nos institutions et sur le rôle décroissant du citoyen dans la société. Pour autant, les mesures prises par ceux qui dirigent restent inefficaces et insuffisantes ; quand elles ne sont pas néfastes. Entre hypocrisie et mensonge, à quoi donc jouent nos politiques ?




Aujourd’hui comme jamais nous vivons dans un monde instable et difficile à comprendre en raison d’un déficit insondable de réflexion : ce monde défile sous nos yeux toujours plus vite paralysant notre capacité à en saisir le devenir et surtout le sens. Ce déficit particulièrement manifeste dans le champ du politique où par delà les discours obligés et rassurants sur la « démocratie » dans nos pays occidentaux, rares sont les analystes soulignant le rôle croissant joué par l’oligarchie dans le fonctionnement de nos sociétés. Depuis la démonétisation de l’idéologie marxiste soulignant le rôle moteur de la classe dirigeante dans le système capitaliste, il semble que la question du monopole de cette classe devenue transnationale ait été laissée de côté.

Or, jamais les « élites »[1] n’ont concentré autant de pouvoirs sous des formes diverses dans les domaines les plus divers : les simples citoyens, qui vivent une impuissance grandissante dans leur vie quotidienne tant sur le plan professionnel que civique, peuvent en témoigner. Il faut dire que l’innovation technologique galopante en cours, en particulier grâce au numérique, ne peut qu’accélérer encore plus le processus en cours, d’autant plus que le simple citoyen se heurte à un monde de plus en plus difficile à comprendre. D’où le mot d’ordre de la propagande inlassablement répété : il faut s’adapter, autrement dit pratiquer ce que La Boétie appelait la servitude volontaire ! L’absence de prise en compte des oppositions à ce processus au niveau politique est d’ailleurs manifeste dans la mesure où aujourd’hui elles ne peuvent plus s’exprimer que hors du champ institutionnel par le jeu des organisations associatives au sein de la société civile (voir ND des Landes !). De ce point de vue là, on peut dire qu’aujourd’hui, la démocratie dite représentative est complètement démonétisée. Tout cela va de pair avec une évolution autocratique de tous les gouvernements dans le monde dont la France de Macron en est un exemple éclairant. Les pratiques répressives par recours à la force publique se sont multipliées comme l’illustre la manière dont notre gouvernement entend faire taire toute forme d’opposition à ses décisions. Cette évolution régressive de nos institutions peut se vérifier à la multiplication des mesures attentatoires aux libertés publiques prises à la suite des attentats islamiques en 2015, qui illustrent la régression spectaculaire de notre État de Droit, comme partout ailleurs dans le monde.

Parallèlement, on peut a contrario constater l’impuissance croissante de cette oligarchie à écarter les grandes menaces subies aujourd’hui par l’humanité, qu’il s’agisse des dérèglements climatiques, de l’épuisement des ressources naturelles ou de la démographie galopante et les progrès de la misère partout dans le monde et en particulier dans les pays les plus riches. Les grands défis auxquels nous devons faire, parmi lesquels se situent en tout premier lieu la catastrophe écologique en cours, ne sont pas relevés par l’oligarchie, bien au contraire, puisque cette dernière travaille tous les jours à les aggraver tout en prétendant les résoudre ! De ce point de vue, il faut dire que pour la minorité des citoyens conscients des progrès du désastre, nous constatons partout dans l’espace public le règne des euphémismes et des oxymores. « Développement durable », « transition », « croissance verte », « économie circulaire », etc., autant d’exercices rhétoriques pénibles qui ne sont que des mensonges au regard de la tragédie en cours que devrait vivre consciemment l’humanité qui, chaque jour, travaille à sceller son destin ! A-t-on stoppé l’urbanisation ou le programme autoroutier et vu diminuer le trafic motorisé qui en découle ou celui des déchets ? A-t-on vu à nouveau virevolter dans le ciel de nos villes les hirondelles et les martinets qui les peuplaient dans mon enfance ? Pédaler au contraire dans le sens de la pente qui nous mène à l’abîme, cela nous savons faire !

La science toujours plus pointue nous informe chaque jour de l’évolution dramatique de la situation que, rationnellement parlant, nous ne pouvons plus ignorer. Pourtant, nous continuons à vaquer à nos affaires comme si de rien n’était, en allant au supermarché pour acheter les déchets à venir et en prenant l’avion pour aller nous bronzer sur des îles lointaines bientôt englouties. Pour les plus aveugles d’entre nous, un sentiment secret nous habite : après moi, le déluge !

La science peut certes contribuer à nous rendre conscients, mais ce n’est pas d’elle que viendra le sursaut souhaité qui ne pourra naître que d’une mobilisation de toutes les ressources morales de l’esprit humain.

À nous d’y travailler !


Simon CHARBONNEAU, Universitaire militant de longue date pour la défense de la condition naturelle de l’humanité.


[1] L’usage de ce terme me paraît d’ailleurs fallacieux dans la mesure où il présuppose un jugement de valeur en faveur de leurs représentants. D’ou le choix de celui d’oligarchie qui me semble préférable car plus neutre et proche de la réalité.

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