vendredi 7 décembre 2018

Du droit à l'insurrection en dernier recours

Du droit à l'insurrection en dernier recours


Alors que partout en France, la colère populaire gronde et se heurte au silence du gouvernement et aux boucliers des forces de l'ordre, il nous a semblé opportun de partager les dernières pages de Projets publics, intérêts privés, véritable manuel de résistance proposé par Vincent Le Coq, à partir de l'expérience des ZAD.  Au fil de ces mots de conclusion prémonitoires, l'auteur y rappelle l'importance de se saisir de son droit à l'insurrection lorsque le dialogue est rompu et que le pouvoir en place se croit en mesure d'ignorer les avertissements des citoyens.

Extrait

Vincent Le Coq
Projets publics, intérêts privés
Libre & Solidaire
2018
p. 355-357

L’insurrection c’est l’ultima ratio, c’est ce à quoi on ne peut recourir que quand il n’y a rien d’autre pour défendre ce qu’il y a de plus sacré, ce à quoi on ne peut renoncer.

« Le droit à l’insurrection dans des cas extrêmes, a été proclamé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et également par l’article 35 de la Déclaration des droits, qui sert de base à la Constitution de 1793 et qui dit que c’est un droit pour le peuple et pour chaque portion du peuple, que c’est un devoir, de s’insurger lorsque le gouvernement viole les droits du peuple (1). » 

En mai 2011, le Manifeste de la place Puerta del Sol à Madrid, dénonçait le capitalisme du désastre. « Le modèle économique en vigueur, obsolète et non durable, entraîne notre système social dans une spirale qui s’autoconsume, enrichissant une minorité et appauvrissant les autres. Jusqu’à son
effondrement (2). » Le projet économique d’Emmanuel Macron de régression sociale pour l’écrasante majorité des Français pourrait renforcer les conditions sociétales et politiques d’un durcissement des conflits environnementaux. « Nous sommes calmes depuis longtemps : nous sommes calmement en colère contre cette vie corsetée et sérieusement déterminés à faire barrage à tous les agités du bétonnage du territoire et des “Zones d’aménagement différé”, les excités de l’innovation et du progrès, les compulsifs de la vitesse à haut débit et de la circulation en fl ux tendus, les hystériques de la croissance infi nie et du “redressement productif ”, les fanatiques de l’aliénation à la société capitaliste et industrielle (3). »

Il est évidemment possible de soutenir que la zad de Notre-Dame-des-Landes et le mouvement No TAV ne sont pas nés par hasard. Mais l’idée, rassurante pour les oligarchies au pouvoir, selon laquelle ces deux conflits s’expliqueraient essentiellement par des particularismes locaux ou une histoire singulière n’est peut-être qu’une illusion. La récente révolution tunisienne nous l’a rappelé, elle a débuté parce que Mohamed Bouazizi, vendeur de fruits et légumes âgé de 26 ans, s’était immolé par le feu devant la préfecture de Sidi Bouzid (4). Il arrive qu’un homme meure et qu’un pays se soulève. En Turquie, le branle a été mis par la décision gouvernementale de faire disparaître quelques dizaines d’arbres pour permettre la réalisation d’un projet immobilier (5). Camille Desmoulins affirmait quelques années après la Révolution : « En 1789, nous n’étions pas dix républicains (6). »

Les implications du caractère asymétrique du confl it qui se déploie actuellement sont elles-mêmes prises en compte : « La police n’est pas invincible dans la rue, elle a simplement des moyens pour s’organiser, s’entraîner et tester sans cesse de nouvelles armes. En comparaison, nos armes à nous seront toujours rudimentaires, bricolées et bien souvent improvisées sur place. Elles ne prétendent en aucun cas rivaliser en puissance de feu, mais visent à tenir à distance, à détourner l’attention, à exercer une pression psychologique ou forcer par surprise un passage et gagner du terrain. Toute l’innovation déployée dans les centres de préparation à la guérilla urbaine de la gendarmerie française
ne suffit manifestement pas, et ne suffira sans doute jamais à répondre assez promptement à une multiplicité mouvante pouvant frapper à plusieurs endroits à la fois et qui surtout s’efforce de toujours garder l’initiative (7). »

Le Comité invisible semble parfois envisager, non seulement la possibilité de résistance des citoyens contre un État devenu illégitime dans ses buts comme dans les moyens employés, mais celle de la victoire de l’insurrection. « Le soulèvement de la jeunesse algérienne, qui a embrasé toute la Kabylie au printemps 2001, est parvenu à une reprise quasi totale du territoire, attaquant les gendarmeries, les tribunaux et toutes les représentations de l’État, généralisant l’émeute, jusqu’au retrait unilatéral des forces de l’ordre, jusqu’à empêcher les élections de se tenir (8). »

L’objectif que s’assigne le Comité invisible est clairement assumé : « L’offensive visant à libérer le territoire de son occupation policière est déjà engagée. […] Les “mouvements sociaux” eux-mêmes sont peu à peu gagnés par l’émeute, non moins que les fêtards de Rennes qui pendant l’année 2005 ont affronté les CRS tous les jeudis soir ou ceux de Barcelone qui ont, lors d’un botellion, dévasté une artère commerciale de la ville. […] Ayant le choix du terrain, on aura soin, comme le Black Bloc à Gênes en 2002, de contourner les zones rouges, de fuir l’affrontement direct […] Il s’est vu alors qu’un millier de personnes déterminées fasse reculer des cars entiers de carabinieri pour finalement les incendier. L’important n’est pas tant d’être le mieux armé que d’avoir l’initiative (9). »

« Il n’y a pas d’insurrection pacifi que. Les armes sont nécessaires : il s’agit de tout faire pour en rendre l’usage superflu. […] Un authentique pacifisme ne peut pas être refus des armes, seulement de leur usage. Être pacifiste sans pouvoir faire feu n’est que la théorisation d’une impuissance. […] D’un point de vue stratégique, l’action indirecte, asymétrique, semble la plus payante, la plus adaptée à l’époque : on n’attaque pas frontalement une armée d’occupation (10). »

La certitude du Comité invisible : « Ça va péter (11) », est à peine nuancée par une note de conjoncture de la banque Natixis : « Ça peut péter (12). » Désormais ouvertement, au service de la branche française de l’oligarchie mondiale, Emmanuel Macron sème autour de lui la dégradation des conditions de vie de plusieurs millions de personnes, la perspective pour elles de la pauvreté et bientôt leur désespérance. On ne saurait exclure qu’il récolte en retour la colère du peuple. Déjà la jeunesse a pris conscience de sa force et l’affirme : « Debout, nous serons inarrêtables. […] Nous sommes des millions, ils.elles ne sont qu’une poignée (13). »

Je confie à Martin Luther King et Nelson Mandela, deux icônes mondiales de la paix, le soin de conclure. « Il serait fallacieux de s’imaginer que seul, le recours à l’éthique et à la persuasion parviendra à faire régner la justice. Non pas qu’il soit inutile d’en appeler à la morale, mais il faut en même temps prendre appui sur une force de contrainte réelle (14). » « J’ai dit que le temps de la résistance passive était terminé, que la non-violence était une stratégie vaine et qu’elle ne renverserait jamais une minorité blanche prête à maintenir son pouvoir à n’importe quel prix. J’ai dit que la violence était la seule arme qui détruirait l’apartheid et que nous devions être prêts, dans un avenir proche, à l’employer (15). »

Il paraît en effet illusoire d’espérer que les bénéficiaires d’un système de domination renoncent pacifiquement à leur position et aux nombreux avantages symboliques et matériels qu’ils en retirent.

Fait à Toulouse, le 17 janvier 2018

Notes

(1) Le Procès de Raoul Salan, compte rendu sténograhique, Albin Michel, 1962, p. 413.
(2) « Avec Podemos, “parti internet”… Si se puede », L’Obs, 28 mai 2015.
(3) Sivens sans retenue. Feuilles d’automne 2014, Éditions La Lenteur, 2014, p. 107.
(4) « Mohamed Bouazizi, l’immolation qui a déclenché le printemps arabe », France Info, 17 décembre 2013.
(5) Le mouvement de protestation débute le 28 mai 2013 à Istanbul par un sit-in d’une cinquantaine de riverains auxquels s’associent rapidement des centaines de milliers de manifestants dans 78 des 81 provinces turques.
(6) Cité in Éric Hazan & Kamo, Premières mesures révolutionnaires, La fabrique éditions, 2013, p. 27.
(7) Comité invisible, L’insurrection qui vient, La fabrique éditions, 2007, p. 105.
(8) Ibid., p. 108.
(9) Ibid., p. 116-117.
(10) Ibid., p. 118-119.
(11) Ibid., p. 127.
(12) « Inégalités : cette note qui fait craindre une révolution des salariés en France », Challenges, 26 août 2017.
(13) Nuit debout, #32 mars, Cherche midi, 2017, p. 23-24.
(14) Cité in Xavier Renou, Petit manuel de désobéissance civile à l’usage de ceux qui veulent vraiment changer le monde, Éditions Syllepse, 2009, p. 39.
(15) Cité in Comité invisible, À nos amis, La fabrique éditions, 2014, p. 142.

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