Zadisme
et violence
Par
Vincent Le Coq.
Édouard de Mareschal, « Notre-Dame-des-Landes : le conflit entre l'État et les zadistes en six actes », Le Figaro, 23 avril 2018.
Le Figaro expose que le lundi 9 avril, 2500 gendarmes mobiles
ont débuté une opération de « rétablissement de l’ordre public ».
L’objectif du pouvoir est d’expulser «les éléments les plus radicaux» et de
détruire « les constructions illégales ». De fait, en quatre jours,
29 lieux de vie sont détruits. Pour Le Figaro, au terme d’une semaine de
face-à-face tendus, ponctués d’affrontements entre les zadistes et les forces
de l'ordre, l’autorité de l’État est mise
en échec à Notre-Dame-des-Landes. Qu’en
est-il ?
Zad
bocagère et violence potagère
La zad de Notre-Dame-des-Landes a inauguré
en France un nouveau modèle de lutte. À partir du constat que la critique
strictement légaliste des associations de protection de l’environnement échoue
à faire obstacle à la réalisation de projets très contestables, il est apparu
que l’occupation du terrain d’assiette est indispensable pour qui entend s’opposer
à la destruction programmée de la nature.
Dans une époque avare en combats sociaux et
davantage encore en combats gagnés, l’essaimage des zad a pris les gouvernants
au dépourvu. Le zadisme est subversif car il questionne l’imaginaire
capitaliste. C’est précisément pourquoi l’inscription dans le temps d’une zad et
la simple possibilité de la réussite de son projet de démontrer empiriquement
qu’un autre monde est possible sont insupportables pour le pouvoir.
Le
zadisme, une utopie en actes
Sur le territoire d’une zad s’ébauchent des
horizons d’émancipation au sein d’un monde dominé par une idéologie capitaliste
dont la seule perspective est désormais l’autocélébration. Se pratiquent au
quotidien le refus du matérialisme et du consumérisme, la volonté d’autonomie,
de ralentissement du rythme de vie, du lâcher-prise. S’expérimentent la
démocratie délibérative et l’action directe, le refus de la violence induite
par tout rapport d’autorité. S’exercent l’hospitalité et la convivialité.
Dès novembre 2015, les différentes
composantes de la zad de Notre-Dame-des-Landes ont pris un engagement pour l’avenir
formalisé par une charte. Un avenir qui débute « une fois le projet d’aéroport
abandonné ».
Les revendications portent sur le maintien
des propriétaires et locataires objets de procédures d’expropriation, des
agriculteurs affectés par le projet, des nouveaux habitants et la détermination
de l’usage des terres par une entité issue du mouvement anti-aéroport.
L’enjeu, avec l’abandon du projet
d’aéroport et la transformation de la zone à défendre en zone d’autonomie
définitive, est la démonstration expérimentale qu’une autre société est
possible.
Opération
Jupiter
Le
lundi 9 avril dernier, le gouvernement a donc engagé près de 2
500 gendarmes, appuyés par des véhicules blindés et
des hélicoptères pour empêcher la mise en œuvre de ce projet.
Le choix par un gouvernement de l’usage de
la violence contre ses propres citoyens est un indice fort de ce que les
tenants du capitalisme triomphant, qui le présentent, depuis l’effondrement de
l’Union soviétique, comme la seule option économique possible (syndrome TINA),
sont bien moins sûrs d’eux qu’ils ne le prétendent. La possibilité même d’une
expérience alternative à la logique marchande leur est manifestement
insupportable. Fut-elle limitée à 200 hectares d’un pays de 550 000
kilomètres carrés.
La
parole publique
Parce que dans un régime démocratique l’objectif
premier d’un gouvernement est de convaincre l’opinion publique du bien-fondé de
ses décisions, les pouvoirs publics ont l’impérieuse obligation d’expliquer et de
justifier leurs choix.
S’agissant des grands projets inutiles et
imposés, cette exigence
du débat démocratique ne peut évidemment être mise en œuvre. Comment en effet
expliquer à la population qu’il est nécessaire de saccager un bocage
exceptionnel pour doter d’un nouvel aéroport une ville qui en possède déjà un ?
Qu’un trafic transalpin orienté nord-sud exige de réaliser une liaison dans
l’axe est-ouest ? Qu’il est indispensable d’enterrer des déchets radioactifs
susceptibles en raison du constant dégagement d’hydrogène de devenir une bombe
folle ?
Que pour diminuer une pollution imaginaire, il est impératif de construire un
barrage qui détruira un des principaux espaces naturels d’un département ?
La réalisation de travaux dispendieux, écologiquement et
socialement catastrophiques,
ne pouvant faire l’objet de la moindre justification, il y a lieu pour les
autorités d’éviter de parler du projet lui-même pour jeter le discrédit sur
l’opposition.
L’inversion
accusatoire
« Alors [que Bruno Retailleau] parlait,
l’air sévère, de véritables camps d’entraînement à la guérilla à Notre-Dame-des-Landes,
les journalistes l’avaient interrompu pour passer une vidéo. Et en place des
guérilleros, on y voyait une dame d’un certain âge, très souriante, adossée à
une botte de foin, dire à quel point elle avait apprécié ces formations. [Bruno
Retailleau] avait eu l’air totalement idiot, et n’avait su que répondre : “Ils
sont très forts en communication, les zadistes, très forts.” »[1]
Son prédécesseur - situé à l’exact opposé sur l’échiquier du spectacle
politique- Jacques Auxiette use identiquement de cette méthode éprouvée qui
consiste à tenter de diviser le mouvement pour le faire disparaître : « Ne
confondez pas les riverains et agriculteurs concernés par des expropriations et
les professionnels de la guérilla urbaine. »[2] Pourtant,
chacun peut constater que dans le bocage nantais les guérilleros professionnels
cultivent leurs potagers.
Le refus de toute opposition
Il y a trois mois, j’écrivais :
« Le
gouvernement, qui se prépare manifestement à faire usage d’une violence
débridée contre les zadistes, a le plus grand besoin d’instiller dans l’opinion
publique un signe égal entre la présence hypothétique sur la zad de
lance-pierres, que les zadistes seraient susceptibles d’utiliser contre les
forces de l’ordre, et l’usage bien réel par ces mêmes forces de l’ordre d’armes
à létalité réduite à leur encontre. »[3]
La fin ultime de cette manipulation avait
été involontairement révélée par Manuel Valls lorsqu’il refusait au peuple
jusqu’au droit de se révolter contre les agressions qu’il subit quotidiennement
depuis plus de trente ans de la part des gouvernements successifs : « La
colère, la violence ne sont pas possibles dans une démocratie comme la nôtre. »[4]
Qu’un gouvernement dénie toute légitimité à
une frange de son opposition est l’indice que s’instaure graduellement en
France une démocratie de basse intensité, voire que s’opère un inquiétant
glissement vers les prémices d’une démocrature. Par ses enjeux, l’éradication à
force ouverte de la zad de Notre-Dame-des-Landes dépasse de beaucoup la seule
question du devenir du bocage nantais.
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