Le déni du passé
Par Simon Charbonneau.
L’auteur du Prix de la démesure et de Résistez (à paraître chez L & S le 25 octobre 2018) nous offre
un article sur l’influence de nos technologies sur notre environnement. Il nous
incite à nous rappeler que dans ce domaine, c’était peut-être mieux avant...
L’un des préjugés de
l’idéologie du Progrès est de dévaloriser tout ce dont on a hérité du passé qui
serait porteur uniquement d’une nostalgie sans justification rationnelle ou
autrement à faire l’objet d’une muséification. Il s’agit là d’une attitude
classique de nos opposants destinée à disqualifier nos arguments du genre
« retour à la bougie ». La caricature dans ce domaine est représentée
par petite poussette, le dernier livre du « philosophe » Michel Serre, ventant les miracles de la souris permettant
d’accéder à internet et qui était illustré par une paysanne lavant son linge à
la fontaine, une image destinée à démystifier le passé.
Si dans certains domaines
comme la santé, le confort domestique et tous les métiers pénibles, le progrès
peut apparaître indiscutable (encore faudrait il ne pas ignorer tous les revers
de la médaille !), le bilan écologique actuel nous démontre abondamment
que la situation antérieure des pays les plus développés était dans ce domaine
beaucoup plus satisfaisante. Moins d’urbanisation, moins d’infrastructures de
transports, moins de pollutions de tous types, si l’on s’en tient par exemple aux
années de l’immédiat après guerre. S’il y a un domaine indiscutable de
régression, c’est donc bien celui de la protection de la nature ! Ce
constat est à vrai dire celui des « vieux » qui ont vécu
douloureusement la dégradation du
contexte écologique provoquée par l’expansion du système industriel dans tous
les domaines et qui continue, comme le montre l’exemple actuel de la
prolifération des champs d’éoliennes dans des paysages jusqu’à présent
inviolés. Ce sont les naturalistes qui observent l’avancée de ce désastre en
voyant disparaître certaines espèces d’oiseaux dans ce qui reste de nos haies ou
de poissons de nos ruisseaux ou encore les randonneurs qui observent les
« progrès » de l’artificialisation de la montagne dans l’ignorance
des statistiques officielles abstraites de la chute de la biodiversité. Tout
cela pour dire que pour l’homme, la nature n’existe pas seulement en lui en
tant qu’animal mais aussi par la relation qu’il a pu établir avec elle !
Or tout le monde a constaté
que, paradoxalement, dans les déclarations officielles relatives à la crise
écologique, il est manifestement interdit d’exprimer un sentiment de perte
irréparable pour tous les amoureux de la nature. Cet interdit inconscient est
révélateur de l’emprise idéologique de l’imaginaire progressiste des années d’après-guerre
destiné à occulter le désastre écologique en cours et qui continue à sévir
aujourd’hui dans nos esprits du XXIème siècle. Pourtant, imaginer qu’on
puisse par exemple observer à nouveau dans nos ruisseaux campagnards les
vairons, goujons et écrevisses à pattes blanches comme par le passé, serait la
preuve tangible de la réussite de nos politiques publiques de restauration de
la faune halieutique !
Si l’on veut vraiment
prendre la mesure du défi de la protection de la nature aujourd’hui, il faut
alors poursuivre la réflexion en se demandant pourquoi donc la nature en
question était mieux jadis protégée alors qu’il n’existait encore ni prise
de conscience, ni politique globale de protection de la nature !! À vrai
dire, la réponse est assez simple lorsque l’on y réfléchit un peu : les
anciennes sociétés n’avaient tout simplement pas les moyens de destruction que
nous avons aujourd’hui. L’arbre restait l’ennemi du paysan qui n’avait pas de
tronçonneuse pour l’abattre, mais pouvait vivre avec car il faisait partie de
son environnement familier.
C’est donc l’expansion
fulgurante de nos moyens techniques qui est à l’origine de nos malheurs,
faut-il le rappeler ! Par conséquent, si l’humanité veut stopper le
désastre en cours, les hommes doivent à tout prix renoncer à rechercher
l’efficacité technique au détriment des finalités qui la justifient comme
ils le font maintenant. Ce qui signifie qu’ils doivent dorénavant cultiver une
nouvelle exigence éthique fondée, comme l’a écrit Ellul il y a déjà longtemps,
sur la renonciation à la recherche de la puissance dans tous les domaines.
À ce stade du raisonnement,
il faut dire que l’on perçoit alors l’ampleur de la tâche qui attend l’homme
moderne pour éviter les catastrophes à venir étant donné l’inertie de la
société dans laquelle il vit.
Simon CHARBONNEAU
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