Y
a-t-il « trop » ou « pas assez » d’humains face aux limites
écologiques ?
Par Florent
Bussy.
Le 11 avril 2018, Florent
Bussy a participé à l’écriture d’une tribune en collaboration avec trois autres
auteurs. Reprise sur Médiapart le 13 avril 2018, il souhaite à présent nous la
faire partager, afin que nous puissions réfléchir ensemble aux enjeux du capitalisme productiviste sur l’écologie et la démographie.
L’Appel des 15 000 scientifiques alertant sur les menaces qui pèsent
sur l’humanité ne pourra produire tous ses effets tant que les forces
conscientes et agissantes en faveur d’une transition écologique resteront
divisées entre celles qui dénoncent l’explosion démographique et les risques
qu’elle fait peser sur la planète et celles qui clament que le véritable danger
à terme ne serait pas le « trop » mais le « pas assez »
d’humains, puisqu’il suffirait que le monde entier atteigne et conserve
durablement le taux de fécondité actuel d’une partie de l’Occident (1,4) pour
que l’espèce humaine disparaisse par épuisement de l’humanité. Ce débat entre
spécialistes doit certes se poursuivre et on peut même imaginer que l’ONU crée
une sorte de « GIEC de la démographie mondiale » mais les forces
émancipatrices ont tout à perdre à se laisser enfermer dans cette polémique.
Nous devons tout faire pour déplacer les frontières au sein des milieux
écologistes au regard de la question démographique en opposant non plus
malthusiens et anti-malthusiens mais au sein même de ces deux camps ceux qui
luttent pour l’émancipation et ceux qui s’y opposent. Les malthusiens
considèrent qu’il faut que les humains fassent moins d’enfants, car
l’agriculture ne serait pas en capacité de les nourrir tous, tandis que les
anti-malthusiens pensent l’inverse.
Le véritable clivage oppose les réactionnaires de tous bords qui souhaitent
maintenir les inégalités au nom de la lutte contre la destruction de la planète
et les forces qui font d’une émancipation globale et responsable, les
conditions d’un respect des conditions de la vie sur terre. Certes plus la
population s’accroit, plus l’empreinte écologique augmente et donc plus
l’empreinte carbone de l’humanité renforce le réchauffement climatique et ses
méfaits. Personne ne peut nier l’explosion démographique, mais il n’existe
pourtant pas de bombe D, en raison de la baisse réelle de la fécondité et de la
rapidité de la transition démographique.
Les questions politiques, sociales, écologiques les plus urgentes
concernent plutôt les rapports à entretenir avec la nature et les ressources
qui peuvent être de prédation et de gaspillage, sur fond de guerre économique
généralisée ou de préservation et de sobriété, dans le cadre de sociétés
fondées sur la fraternité et le respect des droits fondamentaux.
Les partisans écologistes de la thèse du « trop d’humains » n’ont
rien à gagner à être confondus avec les rentiers du révérend Malthus qui
s’en prennent toujours aux plus pauvres, individus ou pays au motif que la
nature ne pourrait parvenir à nourrir toute l’humanité, comme le prouve
l’action des principaux lobbies néomalthusiens depuis 50 ans, qu’il s’agisse de
la Société Internationale de Malthus, de Zero Population Growth (ZPG) ou du
réseau « No Child » ! À la différence des courants
réactionnaires, les écologistes sociaux néo-malthusiens préconisent le partage
des richesses, l’éducation et l’émancipation des femmes, pour contribuer à une
baisse de la démographie permettant de diminuer la pression sur l’environnement
et de lutter contre des naissances synonymes de catastrophes humanitaires
(interruptions volontaires de grossesses fréquentes en cas d’embryons féminins,
meurtres de petites filles, naissances nombreuses jusqu’à l’arrivée d’un
garçon).
Les adeptes écologistes de la thèse du « pas assez d’humains »
ont tout à perdre à donner le sentiment qu’ils épouseraient les thèses
populationnistes des réactionnaires, qui défendent la croissance démographique,
selon une idéologie conservatrice. On peut être ainsi anti-malthusiens sans
pour autant clamer « décroissez et multipliez-vous », comme le font,
notamment, aujourd’hui les croisés catholiques de la revue écologiste Limite.
Parler seulement de responsabilité anthropique comme le fait le GIEC conduit
aussi à masquer la responsabilité spécifique de notre système économique, de
nos styles de vie. Si la Terre ne peut pas supporter quatre milliards d’humains
partageant le mode de vie occidental, elle peut, selon toutes les études
permettre à dix milliards d’humains de vivre bien, en prenant appui sur les
autres façons de vivre, de penser, de rêver, de sentir. Nous n’accepterons
jamais de faire des humains le problème en lieu et place du capitalisme.
Plutôt que de s’opposer sans fin sur la définition des limites objectives à
la démographie humaine, plutôt que d’accepter le retour en force de termes en
apparence neutres comme « population », « ressources » et
surtout de notions pseudo-scientifiques comme « population limite »,
« capacité de charge », nous pouvons converger sur ce qui devrait
permettre à l’humanité de mieux maîtriser sa fécondité, renvoyant ainsi dos à
dos courants malthusiens réactionnaires et courants natalistes réactionnaires.
Nous pouvons nous retrouver pour dire qu’il faut répartir les richesses
économiques de façon plus égalitaire, car nous savons que la misère est
toujours le berceau de nombreuses naissances ; pour dire qu’il faut
poursuivre le mouvement historique d’émancipation féminine, car le patriarcat
et le machisme renvoient d’abord les femmes à une fonction reproductive ;
pour déconstruire les archétypes natalistes, toujours d’origine religieuse ou
impérialiste, qui s’inscrivent dans le cadre d’une lutte par la démographie
pour la domination et contre le prétendu « grand remplacement ».
Nous ne partageons certes pas les mêmes analyses sur l’évolution démographique
mondiale, mais nous savons qu’un arbre se juge à ses fruits, selon un proverbe
biblique, les fruits des politiques que nous prônons sont salutaires tant pour
l’humanité que pour la défense des écosystèmes. Ils rendent aux peuples et, en
premier lieu aux femmes, la maîtrise de leur fécondité en commençant à
desserrer l’étau du capitalisme productiviste et des injonctions natalistes.
Les humains ne sont pas les nouveaux cavaliers de l’Apocalypse. Il n’y a pas un
seul humain surnuméraire. Ce qui est en trop c’est le capitalisme, le
productivisme et la vie qu’ils imposent aux humains !
Florent Bussy, Philosophe, auteur de Ce qui nous fait (Libre et solidaire)
Paul Ariès, Politologue, auteur d’Une
histoire politique de l’alimentation (Max Milo)
Thierry Brugvin, Psycho-sociologue, auteur de Le pouvoir illégal des élites (Max Milo)
Christian Godin, Philosophe, auteur de La
fin de l’Humanité (Champ Vallon)
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